vendredi 9 décembre 2016

Le cèdre bleu 4ème partie & fin

Le cèdre bleu 


Piquets, bêches et motoculteur –là nous n’étions pas raisonnables- enfin mini-pelleteuse puis livraison d’une toupie de béton ; vous avez deviné nous construisons une piscine. Une vraie, filtrée et chauffée. Pour respecter notre jardin nous le jouons à l’américaine : pas de chlore mais de l’oxygène actif. Nous pouvons prendre de cette eau pour arroser les plantes quand la pluie à fait monter le niveau trop haut.
Et la cerise sur le gâteau : notre petit seigneur ne perd pas sa livrée, donc il ne pourrit pas le bassin lors des ébats joyeux. Alors il nous offre son parfum et son ombre légère aux beaux jours.
Demandez aux propriétaires de feuillus. Si la place manque pour s’éloigner du bassin il faut très souvent nettoyer et filtrer.
Je n’avais pas imaginé cela lors de sa plantation. Mais le matin quand il fait beau nous pouvons presque toucher une grande branche qui frôle la fenêtre de notre chambre.
Mais si le bel arbre grandit, nos enfants aussi.
Nous devons quitter notre coin de jardin pour une maison plus grande.
Je suis émue de laisser le beau cèdre élancé. Jamais nous n’appuierons une échelle contre son tronc pour aider à lier les planches de sa cabane : notre petit dernier ne réalisera pas son rêve.
Nous avons fait un tour d’adieu. Les propriétaires suivants admirent la belle livrée du résineux bleuté, nous l’avons laissé en de bonnes mains.
Le nouveau domicile est au milieu d’un petit parc, les cimes sont nombreuses et variées.
Je n’avais jamais vu un hêtre pleureur. Il est magnifique et nous abrite sous les arcs retombants de sa ramure.
Des grands peupliers ponctuent l’horizon. Nos amis savent de loin qu’ils s’approchent de notre foyer. Les trois flammes vertes signalent notre colline.
Il y a des pruniers généreux en reine-claude craquantes de soleil.
Un cerisier géant attire les enfants et les merles.
Mais, même en fouillant soigneusement dans les recoins, je ne vois pas l’ombre du début de la pousse d’un cèdre.
Alors, un jour nous poussons notre excursion jusqu’à notre ancienne maison.
Nous n’y sommes pas venus depuis plusieurs années.
Sûr, le cœur bat un peu trop fort en y allant. La grande tempête est passée sur le pays. A-t-elle épargné notre résineux ?
Et de loin, avant même de quitter la route nationale une haute silhouette marque notre ancien territoire. Il est majestueux maintenant le bébé qui tenait dans la main,  il aspire à toucher les cieux dirait-on.
Il est immuable, alors que notre maisonnette elle, a bien changé.
Les nouveaux propriétaires ont pris soin du cèdre bleu.
La gent ailée fréquente assidûment le jardin.
Sur la pointe des pieds nous repartons avec un sentiment ambigu.
Heureux de voir le temps assurer notre plantation ; mais aussi avec la sensation qu’un bout de notre cœur est resté dans la terre beauceronne.
Le cœur est-il un organe apte à se régénérer ?
****
Je n’ai pas complètement été privée de cèdre les dernières années.
Depuis des années j’avais adopté son huile essentielle pour sa compagnie bienfaisante dans les armoires. L’odeur est vraiment délicieuse à nos sens, et elle est répulsive pour les mites gourmandes. Alors j’en fais toujours usage, généreusement. Je n’hésite pas à imiter nos ancêtres dans leurs gestes sages.
Et au fil du temps la maison se vide des enfants.
C’est encore un autre déménagement qui bouleverse la vie de notre famille.
Sous la neige nous visitons une fermette au terrain tarabiscoté qui entoure les bâtiments. Il est Impossible de visiter les lieux extérieurs. Nous reviendrons quand le soleil montrera le bout du nez.
Voilà, nous commençons à faire le tour des propriétaires. Dans une petite étable en pierre avec l’auge intacte, nous faisons une heureuse découverte : sur le rebord d’une ouverture étroite comme une meurtrière j’aperçois un objet sans âge. En secouant la poussière antique on voit de l’émail blanc fileté de bleu rustique. Un petit bougeoir oublié attendait de revoir la lumière. Il rejoindra la cuillère à lait du même style dans un autre coin de la ferme.
Devant la maison il y a une corbeille vigoureuse de mille-pertuis. Et une profusion de rosiers anciens, merveilleusement odorants.
Derrière enfin je peux visiter le reste du jardin.
J’ai une  émotion incroyable au détour du chemin.
Le seigneur du lieu est un magnifique cèdre bleu rempli de fruits en cônes si doux.
C’est le grand frère de celui que nous avons légué avec notre première maisonnette.
Les pépiements sont joyeux et innombrables : merles, mésanges noires, bleues, pinsons, chardonnerets, tourterelles…
Il s’étend avec générosité pour abriter tout un monde varié. Nous verrons aussi des hérissons en pleine forme, les escargots n’ont qu’à bien se tenir.
En dernière aventure, il nous consolera étrangement.
Des gens mesquins sans amour du végétal nous contraignent -sous menace d’un procès- à un élagage mortel  pour de beaux  trentenaires.  Comment ne pas souffrir avec cette loi antique et anti-écologique invoquant l’ombre portée sur le jardin du voisin ?
Le seigneur saura nous mettre du baume après ce massacre.
À genoux  au pied  de notre beau cèdre nous découvrons qu’il abrite une pépinière généreuse de dizaines de petits arbres vigoureux.
La roue de la vie reprend ses droits. 
FIN


Merci de m'avoir suivie jusqu'au bout des douces aiguilles de mon cèdre.

N'hésitez pas à me dire si vous aussi avez un arbre marquant dans votre vie; 
ou simplement si cela vous a plu, 
à bientôt









4 commentaires:

  1. Ce que le temps passe. Beau texte qui me remplit de nostalgie. Les souvenirs ravivés sans doute... sûrement aussi le temps grisâtre qui enveloppe les arbres derrière la fenêtre. C'est plus fort qu'un album photo.

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  2. Comme toi, le cœur pince un peu.
    Mais c'est bien le nombre des années qui permet la croissance des seigneurs de nos jardins.
    Merci d'avoir aimé, mieux qu'une photo...

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  3. Merci d'avoir donné vie à ce beau cèdre. Et de nous avoir offert son histoire si joliment écrite.
    J'aime tout ce qui est vivant; et les arbres en particulier car ils nous accompagnent si longtemps...
    Deux me sont restés dans le coeur : un cognassier, compagnon d'enfance du jardin de mes grands-patents. Et un saule pleureur du jardin de mes parents, qui nous offrait généreusement son ombre tous les étés.

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    1. Merci Solo de nous faire aussi rêver.
      En pleureur nous étions agréablement ombrés par un hêtre, dans notre précédent jardin. C'est vraiment beau et efficace.

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