lundi 28 novembre 2016

Le cèdre bleu 2ème partie


Adulte en famille nous avons acquis un petit bout de champs en pleine Beauce, et travaillé comme des fous pour aménager les ares sauvageonnes. Après avoir manié les outils, nous étions le nez vers le ciel, couchés à la belle étoile. Que c’était bon de respirer l’odeur fraîche de l’herbe !  Et je savais, car je le désirais très fort, que bientôt se mêlerait l’odeur du résineux rêvé.

Une fois la maisonnette construite, nous étions plus fauchés que le champ du paysan à côté. Mais j’ai recherché avec obstination l’arbre de mon espérance.
Avec sa motte de terre ce bébé tenait dans ma main. J’avais mis le maximum de mes possibilités financières pour acquérir le plus petit des cèdres qu’on puisse avoir.
Il ne pouvait y avoir plus heureuse que moi, en cet instant  où j’avais ce futur géant sur ma paume.
Le cérémonial a été bref mais soigné. Entourée de mon mari et de nos deux enfants j’ai creusé dans la belle terre noire un grand trou pour la fragile tige. Je parle doucement à mes plantes pour les encourager. Un voisin m’entendant pourrait s’interroger, mais je sais que mes arbres sont vivants et sensibles à beaucoup de choses comme à la douleur d’un congénère, alors pourquoi pas à l’amour que nous leur portons ?
J’ai guetté la pousse de sa parure neuve. J’aime ce vert bleuté sourd qui pare les bouquets d’aiguilles.
Je désherbais soigneusement le pourtour de sa plantation.
Mes enfants grandissaient plus vite que l’arbrisseau.
Le diamètre de son tronc était gros comme un crayon d’écolier lors de sa plantation. Il a pris beaucoup de temps avant d’égaler celui d’un doigt adulte.
En son très jeune âge je devais écarter les fleurs printanières pour le voir à deux ou trois mètres. Mes fréquentes visites pour l’affermir dans son enracinement s’accompagnaient de légères caresses sur ses minuscules branches. A-t-il fait trop d’efforts dans sa pousse pour me plaire ? Comme un futur adolescent trop pressé il s’est mis à pencher du fût. Alors j’ai pris du raphia léger, j’ai coupé une branchette d’un feuillu et je lui ai montré la verticalité désirée. Le lien bien plat et souple n’a pas gêné sa croissance, redressé il a bien gagné un ou deux centimètres.
Patience, patience.
Nous avons, durant cette période de longue attente,  visité un château médiéval. Et j’ai eu alors une vraie leçon de patience. Le guide nous arrête devant la porte seigneuriale qui s’ouvre sur une ogive en bois. Je m’interroge sur le travail de courbure des deux troncs impressionnants.
Le guide explique que les graines des arbres ont été mises en terre par un charpentier. L’homme en pleine force de l’âge surveille la croissance des rejetons, et commence avec une corde, à courber doucement le faîte de chaque tronc. Il poursuit ce lent travail jusqu’à l’aube de sa vieillesse. Alors il confie le soin des jeunes arbres vigoureux à son fils pour qu’il attende à son tour leur taille adulte, dans la courbure voulue. Le charpentier ne verra jamais le fruit de ses efforts, il en était conscient en commençant son ouvrage. Et nous admirons maintenant le travail de son fils.
Nous sommes repartis avec du rêve coloré de vert feuillage dans les yeux, et dans les oreilles l’appel doux de la chouette hululant dans le parc profond.
Après quelques étés, installés sur la terrasse nous avons enfin pu apercevoir la cime  neuve du cèdre. Alors c’était un plaisir de revenir en soirée se caler dans le fauteuil du salon au jardin pour l’écouter pousser ; et se dire que bientôt sa parure embaumerait après les orages. Vous savez cette odeur balsamique délicieuse qui est un vrai cadeau du ciel.

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